Le 6 avril dernier, le cabaret du Lion d’Or
consacrait sa journée à une promotion ludique de l’expression française au
Québec. L’initiative vient du Mouvement Québec français qui réitérait pour une
deuxième année l’expérience de ce spectacle aux allures de marathon intitulé
«J’aime ma langue dans ta bouche».
Question de souffler un peu, l’évènement s’est
déroulé en deux parties, une première en après-midi et l’autre en soirée. Bien
qu’on m’ait dit qu’elles étaient similaires, elles comportaient chacune leurs
exclusivités.
Comme je n’ai assisté qu’à la deuxième partie du
spectacle, j’aurais pu manquer quelques perles n’eût été de la contribution de
l’organe citoyen 99% Média (www.99media.org) qui a capté la scène du Lion d’Or
avec la lentille d’une caméra, permettant ainsi une diffusion différée.
Ceux qui se mordent les doigts d’avoir manqué ce
rendez-vous ont donc l’occasion de se reprendre, mais ils devront faire avec
une qualité sonore et visuelle parfois chancelante.
Denis Trudel était à la fois responsable de la
direction artistique et l’animation de ce spectacle multidisciplinaire.
On pourrait bien critiquer son caractère brouillon,
néanmoins, il est mal venu de dire du mal des bénévoles à qui ont doit la
concrétisation de ce projet et qui se sont donné corps et âme à la réalisation
de cette activité.
«J’aime ma langue dans ta bouche», selon Denis
Trudel, c’est l’incarnation de la notion du français comme langue commune au
Québec, notion que les principaux groupes d’intérêt comme le Mouvement Québec
français auquel Trudel agit à titre de porte-parole, luttent pour un renforcement
législatif.
Pour le porte-parole de l’évènement, Biz, membre du
groupe Loco Locass, il faut compter davantage que sur la Charte de langue
française pour assurer la pérennité du français au Québec.
D’après lui, chaque Québécois doit, sur une base
individuelle, se porter à la défense de sa langue en abordant un rapport
critique avec son propre comportement linguistique. Il plaide pour que le
français prévale dans les échanges au quotidien, surtout avec ceux qui n’ont
pas l’aisance de bien le parler.
Le président du Mouvement Québec français, Mario
Beaulieu, présenta lui aussi un texte qui tenait lieu de déclaration formelle
du mouvement de défense de la langue française qu’il représente.
Citant Pierre Bourgault, il rappelle que «quand nous
défendons le français chez nous, ce sont toutes les langues du monde que nous
défendons contre l’hégémonie d’une seule.» Au nom de cette cause, il est prêt à
prendre tous les coups que lui assènent ses adversaires.
Lisant un texte rédigé dans le cadre de l’évènement,
Jules Falardeau déclare s’interdire de s’adresser en anglais avec quiconque au
Québec dans un effort pour se libérer de l’emprise d’un réflexe de colonisé.
Ce réflexe faisait en sorte qu’il répondait en
anglais à quiconque qui ne s’adressait pas à lui en français, car l’anglais se
voudrait la langue internationale des échanges. Falardeau parle exclusivement
français au Québec au risque de passer pour un être sectaire ou d’importuner un
touriste. C’est pour lui une question santé mentale.
L’homme derrière les études sur la situation du
français à Montréal sur lesquelles Pierre Curzi a appuyé sa démarche de
renforcement législatif envers le français, Éric Bouchard, était là pour parler
de son expérience personnelle avec l’interculturalisme.
Les bénéfices dont il a soutiré des échanges avec
des citoyens d’un héritage culturel différent du sien a fondé un principe de
métissage duquel le Québec devrait s’inspirer.
Ces détracteurs de la protection de la langue
française ont été souvent pris à partie par Denis Trudel durant la soirée.
Après le passage sur scène d’un participant d’une origine étrangère, il était
fier de les présenter comme des contrexemples de fermeture, de tribalisme et de
xénophobie dont on est souvent accusé.
Avec raison, ces artistes étaient la pièce de
résistance de la soirée.
Denis Trudel a invité des artistes de nationalité
étrangère qui ont participé auparavant à un concert organisé par la Maison de
la culture Ahunstic et intitulé «Des mots sur mesure».
Depuis 2010, il s’y organise un spectacle annuel qui
donne l’occasion à des artisans de la scène musicale d’exprimer leur art en
français, il s’agissait parfois pour eux d’une première occasion de le faire. L’exercice
demande d’adapter à son goût un texte du répertoire québécois. Le résultat est remarquable.
Ainsi, avons-nous pu entendre trois artistes Tamouls
de l’ensemble Amanda Prasad qui ont
interprété «Comme un sage» d’Harmonium et «Chanson entre nous», écrite par
Stéphane Venne et chantée initialement par Pauline Julien.
Il y avait aussi Oumar Ndiaye, auteur –compositeur Sénégalais
qui a livré une version rythmée de «La complainte du phoque en Alaska» en plus
de deux chansons de son répertoire, soit «T’es où» et «Viva le Québec».
Pour sa part, Yadong
Guan, de nationalité chinoise, a produit une version de «J’ai planté un
chêne» de Gilles Vigneault accompagnée d’une consœur. Elle a ensuite joué une
pièce en chinois et en français dont le titre est «La lune est mon cœur».
Venue de Turquie, Duo Turco est une formation musicale
composée des artistes Ismaïl Fencioglu et Didem Basar qui a donné un souffle
nouveau au poème «Soir d’hiver» d’Émile Nelligan et «J’ai la tête en gigue» du
duo Jim et Bertrand.
Il ne faut surtout pas passer sous silence le
passage de Soraya Benitez, chanteuse Vénézuélienne à la voix puissante
découverte dans le métro par un artisan de la Première Chaîne.
Ce n’est pas tout. Le Lion d’Or accueillait
également cette journée des artistes venus d’ailleurs qui pratiquent leur art
en français comme Zahia, interprète Kabyle, qui a chanté deux compositions
musicales de l’artiste Kabyle Idir, soit «Sans ma fille» et «Ce cœur venu
d’ailleurs».
Mykalle Bielinski est une
artiste qui a plus d’une corde à son arc. Un peu touche à tout, cette Polonaise
d’origine n’a dévoilé qu’une partie de son talent en partageant avec le public
un de ses poèmes et deux de ses chansons.
L’auteur Algérien Karim Akouche a lu un long texte
émouvant. Avant de quitter la scène, il a confié qu’un peuple qui ne défend pas
son identité est un peuple destiné à l’esclavage.
Pour sa part, Romain Pollender, auteur et comédien
d’un lointain héritage juif et polonais, a partagé un texte qu’il a composé
pour l’occasion sous forme d’adresse à un nouvel arrivant.
N’oublions pas la France, la mère patrie de la
langue mise à l’honneur. Si l’auteur-compositeur-interprète Gaële devait servir
d’ambassadrice, elle est serait sa plus digne représentante. Cette amoureuse du
Québec a servi au public un spectacle complètement disjoncté.
Isabelle Blais et Pierre-Luc Brillant, deux
comédiens qui ont une seconde vie de chanteurs et de musiciens, sont venus
souligner leur amour de la langue. Ils ont joué «Rapide blanc» d’Oscar
Thiffault et «Évangéline» d’Angèle Arsenault.
L’homme qui a redonné vie à Gaston Miron, Gilles
Bélanger, était, pour sa part, présent pour donner une voix au poète avec «Au
sortir du labyrinthe» et «Sentant la glaise» qu’on peut entendre sur l’album
des Douze hommes rapaillés.
Les mots de Miron étaient également présents dans la
bouche de Denis Trudel qui, pour l’occasion, s’est prêté au jeu de la
performance en lisant «Compagnon des Amériques» de Gaston Miron accompagné de
la formation musicale chilienne Acalanto.
Ivan Bielinski alias Ivy
est un slammeur qui ne rate aucune occasion pour mettre l’épaule à la roue dans
la promotion du français. Accompagné de ses musiciens, il s’est exprimé avec sa
vigueur habituelle, livrant au passage un slam fort à propos sur la situation
actuelle de la langue.
L’humoriste Louis T. a également abordé la question
de la langue en débordant du sujet comme les artistes du genre nous ont
habitué.
Le Lion d’or a brièvement transformé sa scène en
planches de théâtre le temps que le dramaturge et comédien Sacha Samar, venu
d’Ukraine, nous présente une scène de la pièce «La mort dans la bouche» de
Luigi Pirandello avec l’aide de son épouse.
Pour sa part, Lynda Johnson a lu un texte de Marcel Dubé qui n'était pas tiré d' «Un simple soldat».
Denis Trudel a tenu présenter des courts métrages
durant la soirée afin de donner une place à ce genre qu’il dit sous-représenté.
On a pu voir «Sang froid» de Martin Thibaudeau et «Trotteur» de Francis
Leclerc. Le choix de ce dernier était toutefois étonnant dans le contexte d’un
spectacle consacré à la langue, compte tenu de son caractère muet.
Olivier Bélisle est un auteur-compositeur-interprète
à la confluence du folk, du rock, du blues et du funk qui a reçu la tâche
ingrate de clore la soirée. À l’instar de son talent en émergence, le spectacle
de Denis Trudel devrait revenir en force l’année prochaine.
Celui-ci a partagé à voix haute le rêve d’organiser
une scène à air ouverte dans un parc de Côte-des-neiges où il s’y parle près
d’une centaine de langues. Voilà un excellent lieu de promotion du français,
langue commune des échanges chez tous ceux qui portent le Québec dans leur
cœur.