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Du 23 avril au 4 mai au théâtre de La Chapelle
Une production du Théâtre à corps perdus
Mise en scène de Geneviève L. Blais
Avec Paule Baillargeon, Kathleen Aubert, Eugénie Beaudry,
Victoria Diamond, Isabelle Guérard, Nico Lagarde et Estelle Richard.
Ces jours-ci, la parole théâtrale
s’exerce sous le chapeau de la confidence au La Chapelle. Elle régie une
expérience expiatrice qui donne à représenter ce qui, bien souvent, est
confinée intérieurement : celle d’avorter.
Le terme est puissant. On n’en parle
pas à la légère. Contrairement à ce que croient certains bornés idéologiques,
cela ne se fait pas sans heurt. Ça laisse justement des empreintes.
Geneviève L. Blais s’est engagée à percer le secret de cette expérience
intérieure en présentant sept voix sur les planches du La Chapelle, chacune
porteuse de sa propre histoire.
L’une d’elles sort du lot tant par son discours que par son interprète.
Cela ne m’a pas pris beaucoup de temps avant de reconnaître les mots d’Annie
Ernaux dans la bouche de Paule Baillargeon.
Dans l’autofiction L’événement,
l’auteur racontait sa propre interruption de grossesse. C’était dans les années
soixante dans un contexte où les choix offerts s’imposaient avec l’énergie du
désespoir.
Elle est parvenue à entrer en contact avec une «faiseuse d’ange», un
euphémisme de la fonction de ces femmes qui produisaient clandestinement des
interruptions de grossesse.
C’est non pas sans avoir réfléchi à la tristement fameuse solution des
aiguilles à tricoter.
Les six autres femmes qui partagent
la scène avec Paule Baillargeon parlent d’une expérience plus actuelle où on
n’y risque plus sa vie et où on n’est plus des parias de l’État.
La pièce traverse différents lieux
communs qui font figure d’étapes dans le parcours de ces femmes qui feront toutes
le choix de ne pas garder l’enfant qui croît en elles.
Cela commence avec par incrédulité des
menstruations qui tardent à arriver et aux symptômes qui se manifestent.
S’ensuit la relation difficile avec le père ou un autre membre de la famille.
Inévitablement, la femme se retrouve
avec elle-même. Au moment où elles sont forcées d’admettre leur condition,
elles entament une réflexion qui aborde entre autres choses le sujet de la
fertilité, de la féminité et de la famille.
Le ton n’est pas exclusivement
tragique. Il est parfois nuancé, mélancolique et même comique. Chacune
s’exprime à sa façon. L’une d’elles, interprétée par Kathleen Aubert, a 16 ans
et parle avec le langage qui correspond à sa réalité.
Il y a aussi Victoria Diamond, une danseuse
professionnelle qui entretient un rapport approfondi avec son corps. Dans son
cas, l’essentiel de son expérience passe par l’expression dynamique du corps.
Estelle Richard joue une
intervenante qui œuvre auprès d’un organisme d’aide aux femmes enceintes qui
les aide dans leur choix d’avoir ou non un enfant. Sa réflexion a posteriori lui
aura fait comprendre qu’une bonne part de l’avortement ne traverse pas les
frontières de la conscience.
Geneviève L. Blais a composé sa
pièce à partir de témoignages vivants qu’elle a recueillis en plus de ses
lectures de L’événement d’Annie
Ernaux ainsi que d’Expulsion de Luis
de Miranda et Hélène Delmotte.
Si nous n’avons pu avoir qu’un
aperçu de l’accablement des femmes qui font le choix d’interrompre leur grossesse,
la pièce nous aura ouvert les yeux sur leur mélancolie et le deuil qu’elles
traversent inévitablement.
Le théâtre à corps perdus porte la
voix de ces réalités qui sont parfois hors d’atteinte. Avec Empreintes, il fait œuvre utile de
sensibiliser au phénomène de ces femmes qui cultivent la maternité dans un
jardin secret.