lundi 5 novembre 2012

Tout ça m'assassine: qui tue qui (ou quoi)?

Présentation des courtes pièces Confession d’un cassé de Pierre Lefebvre, La déroute de Dominic Champagne et des poèmes de Patrice Desbiens mis en scène par Dominic Champagne, interprétées Alexis Martin, Mario Saint-Amand, Normand D’Amour, Sylvain Marcel et Julie Castonguay et accompagnées des musiciens Éric Asswad et Charles Imbeau.


Le 16 octobre dernier, une offre spéciale de billets à moitié prix fut rendue disponible à l’occasion du jour de l’anniversaire de la déclaration des mesures de guerre. Mais y avait-il là quelque chose à célébrer?

La doctrine du choc


Quand on y pense, la loi de Trudeau aurait bien pu inspirer une telle pièce. La chape de plomb qui s’est abattue au mois d’octobre 1970 s’apparente à l’affaissement du projet national porté par René Lévesque lorsque celui-ci est mort le 1er novembre 1987.

Suivant le premier événement, le peuple écrasé par une campagne de peur. Après la mort de Lévesque, la béquille sur laquelle s’appuyaient les québécois pour épargner un tant soit peu leurs genoux écorchés s’est affaissée.

Après un tel choc, le système immunitaire de la collectivité s’est trouvée vulnérable à tous les vices politiques imaginables. C’est ce qu’explique Naomi Klein dans son essai La doctrine du choc.

Bien sûr, on s’en remet, mais on n’oublie pas de tels événements dans notre histoire collective.

Sur le site internet du Parti libéral du Québec, on vante le développement de la Baie James comme un exemple de bonne gouvernance vouée à l’économie bien qu’on y ait évacué les accointances avec le crime organisé.

Selon Liza Frulla, Bourassa plaisait à dire: «lorsque l’économie va bien, tout va bien». On ne se méfie jamais trop des chantres du «tout à l’économie». Ils ont galvaudé le sens de ce mot jusqu’à l’avoir vidé de son sens. Tiré du grec ancien, l’économie signifie pourtant l’«administration du foyer». 

L’auteur du Livre de la jungle Rudyard Kipling a dit qu’«on ne paiera jamais trop cher le privilège d’être son propre maître». Ce n’est pas sur un chantier de construction que s’administrera notre foyer qu’est le Québec, mais bien à l’Assemblée Nationale où l’intérêt supérieur de la nation dépasse le cadre strict d’un débat de comptabilité.

Souveraineté populaire


Il serait réducteur de croire que les pièces de Desbiens, Lefebvre et Champagne traitent de la vitalité du projet souverainiste québécois à proprement parler. C’est plutôt de la souveraineté populaire dont il est question.

L’événement théâtral Tout ça m’assassine a fait son bout de chemin dans les salles de théâtre depuis son inauguration il y a un an. On en a parlé abondement dans les médias étant donné la notoriété de Dominic Champagne.

Cette présence médiatique s’expliquait aussi par l’implication spontanée du metteur en scène contre la nouvelle lubie de l’industrie gazière qui prêchait en faveur de l’exploitation des gaz de schiste dans la vallée du St-Laurent malgré les réticences de la population.

Soir après soir, au plus fort de la polémique sur cette filière gazière, les journalistes s’entretenaient avec des gens qui faisaient l’expérience du caractère colonial de la loi sur les mines.

On peut gager que, s’il eut été encore vivant, René Lévesque n’aurait pas employé l’État contre l’intérêt populaire. Il se serait plutôt présenté au ministère des ressources naturelles à la première heure pour demander qu’on lui rende des comptes.
La majesté de Lévesque venait de sa confiance inaliénable envers le peuple. Il y avait une raison pour expliquer sa nature. Sa curiosité œuvrait à la comprendre, à la définir ainsi qu’à la défendre. C’est en ce sens qu’on pourrait dire sans honte que Lévesque était un conservateur.
L’intérêt supérieur du Québec n’avait de sens qu’incarné dans la culture populaire. Par conséquent, Lévesque jugeait que la tâche des démocrates était de renseigner le peuple sur ses propres intérêts.  Mais René Lévesque est mort le 1er novembre 1987. Cette année, cela fera 25 ans qu’il ne participe plus à notre aventure collective.

Le Québec me tue


L’histoire expliquera pourquoi Parizeau a précipité son départ autant que son référendum. Le passage de Landry a été trop bref. Oublions Bouchard. Cependant, comment expliquer les neuf années de Charest? Comment est-il possible que le Québec en ait été réduit à un état désintéressé, ignorant et servile?

Le lendemain du débat des chefs de 1994 entre Daniel Johnson et Jacques Parizeau, Le Devoir publie la lettre d’une étudiante intitulée Le Québec me tue. Elle y explique que «cet espoir [de la souveraineté du Québec] a longtemps été pour moi comme une promesse d'air pur, de renouveau. J'ai compris que rien ne changera, car les gens d'ici sont comme ça. Indécis. Et pas très fiers d'eux.»

Dans la pièce de Champagne, le poète de Desbiens incarné par Sylvain Marcel exprime une sclérose qui l’atteint sévèrement, comme si son propre verbe poétique l’asphyxiait. Il boit, fume et évacue toute la hargne qui pèse sur sa condition.

L’idée voulant que la Révolution Tranquille soit l’affaire exclusive des baby boomers persiste encore à ce jour. Pourtant, alors que leurs parents ont mis au pouvoir l’Équipe du Tonnerre, ce sont eux qui ont fait en sorte que survienne l’élection historique du 15 novembre 1976.

L’émergence de cette génération populeuse a vu naître un sentiment national nouveau. Hubert Aquin avait souhaité en quelque sorte que le Canada français meure afin qu’il provoque une renaissance salvatrice de son essence. Les boomers ne furent-ils pas les premiers à se définir comme des Québécois?

Comme le poète de Desbiens, agressé par son environnement et par les autres, les baby boomers ont été honnis par les X, puis par les Y. L’état social qui s’est construit pour servir le Québec est aujourd’hui accusé d’empoisonner la postérité.

L’économie d’abord, oui!


Force est de constater que le discours populiste orienté sur l’«économie» a le vent dans les voiles depuis les quinze dernières années. Cette impression a atteint son paroxysme lors de l’élection de 2008 où les libéraux ont fait campagne avec le slogan «l’économie d’abord, oui!».

 Le taux de participation anémique traduisait l’atteinte d’un nouveau sommet dans le cynisme populaire. Cela n’a pas gêné les libéraux qui ont profité de leur majorité parlementaire pour engager les démarches sur le dossier des gaz de schistes, le traité de libre-échange Canada-Union Européenne et son programme d’investissement massif dans les infrastructures.

C’était sans savoir qu’il y avait un ver dans la pomme du monde de la construction, quoi que cela n’a pas empêché le maire Tremblay de se faire réélire en 2009. Il serait toutefois intéressant d’entendre Naomi Klein à la commission Charbonneau expliquer de quelle façon la crise économique a servi les intérêts partisans des collecteurs de fonds politiques.

À l’instar du personnage d’Alexis Martin dans le Discours d’un cassé de Pierre Lefebvre, il se trouve parmi ces cyniques des gens qui se sont désincarnés de l’ordre social. Ils n’appartiennent plus qu’à eux-mêmes.

À défaut d’être rompus à la peur, ils s’abandonnent à une conception de la souveraineté proprement personnelle comme si chaque corps était un pays dans le nouvel ordre mondial néolibéral.

Vers un avenir incertain


Comment peut-on interpréter le dernier échange entre le personnage de Mario St-Amand et Normand d’Amour à la fin de la pièce La déroute de Dominic Champagne? Le premier, un suicidaire vivant sur du temps emprunté qui se désole de nos défaites, et le second, ragaillardi par les succès qui ont marqué notre chemin dans l’histoire, prennent la route pour participer à l’enterrement de René Lévesque, un voyage qui se transforme en aventure allégorique. Alors que l’un d’eux constate qu’il semble y avoir de la lumière devant eux au bout de la route, l’autre répond, énigmatique, «on dirait un labyrinthe».

Le mythe de Thésée dans le labyrinthe du minotaure confronte un découvreur désorienté et un être suintant la mort. De la sorte, Dominic Champagne prévoit deux destinés possibles au Québec.

Ou bien il persiste dans la voie tracée par les Champlain, d’Iberville, Papineau et Lévesque, ces héros dont le personnage de d’Amour relate les exploits. Des être inspirés et inspirants qui ne cèdent devant rien pour tracer la voie de l’expérience humaine.

Ou bien il cède, comme le craint le personnage de St-Amand, à l’atavisme. Le Québec se laisserait emporter par ses défaites, se refusant à tout espoir. On aurait très bien pu l’imaginer, lui ou le personnage d’Alexis Martin, chanter les dernières paroles de Dehors Novembre de Dédé Fortin: «j'attends un peu, chus pas pressé j'attends la mort».

De la même manière, René Lévesque résumait la situation ainsi : «une société, pas plus qu’une femme, ne peut demeurer indéfiniment enceinte : il faut qu’elle accouche ou qu’elle avorte.»

Après la mort de Lévesque, le Parti Québécois ne s’est pas effondré. Jacques Parizeau a donné un souffle nouveau au mouvement souverainiste en prenant soin d’entrainer avec lui les mouvements populaires. Si on peut blâmer son départ précipité après la défaite référendaire, souhaitons-nous de ne pas baisser les bras au nom de l’intérêt commun. Il sera toujours temps de renaître.  «Nous sommes renés», disait avec raison le personnage de Normand D’Amour, comme quoi la mort de Lévesque ne nous empêchait pas d’incarner nous-mêmes cette figure porteuse d’espoir.