lundi 12 avril 2010

Paul Piché, l'artiste muri d'espoir


«J'attends le jour où le Québec sera un pays. Je l'attends comme on attends le printemps,» a déclaré l'auteur d'«Heureux d'un printemps» avant d'entamer son célèbre hymne à l'espoir. Car de l'espoir, le militant indépendantiste en était rempli en cette soirée du 9 avril dernier à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts. L'auteur-compositeur était accompagné du bassiste Mario Légaré, du batteur Pierre Hébert, du claviériste Jean-Sébastien Fournier, du guitariste Rick Hayworth et de son fils Léo aux accompagnements de percussion et de guitare.


Dix ans après l'album «Le Voyage», l'artiste a bien muri. Il nourri son oeuvre de chansons accomplies qui témoignent d'une longue digestion des années ingrates (fin 80-début 90). Pour bien se comprendre, disons simplement qu'ils sont nombreux ceux qui n'ont jamais pardonné à Piché d'avoir rasé sa barbe. Mais ceux là font parti d'un public distinct car il y a bien deux Paul Piché : celui qui, avec sa barbe et sa guitare accoustique a inspiré nos chansons de feu de camp et celui qu'on entend à Rock-Détente avec figure bien rasée et beaucoup de synthétiseur. Chacun d'eux a son public et le spectacle n'en a laissé aucun en reste. On a eu droit à «Je lègue à la mer», «Un château de sable» et bien sûr «Sur ma peau», des airs que les nombreuses têtes blanches dans la salle ont chanté debout en tappant des mains pour battre la cadence. Heureusement, il y avait aussi «Mon Joe», «L'escalier», «Y a pas grand chose dans le ciel à soir» et bien sûr «Heureux d'un printemps».


Je dis bien «heureusement» car je suis demeuré marqué (voire traumatisé) par le passage de Paul Piché en 1995 (ou peut-être même 1996) à l'émission Chabada animée par Gregory Charles. Devant un feu de camp improvisé, le chansonnier était invité à chanter ses vieux airs avec sa guitare. Bafouillant les couplets, il avait dû concéder l'oubli de ses chansons célèbres. Or, ce soir là à la salle Wilfrid-Pelletier, le troubadour a chassé ce mauvais souvenir en se présentant seul sur la scène au retour de l'entracte. S'asseoyant sur un tabouret avec sa guitare, il était heureux «de pouvoir jouer pour une fois du Paul Piché», a-t-il déclaré avec humour en ajoutant que, contrairement à lui, on avait eu le loisir de faire la même chose autour d'un feu de camp. Je me suis alors réconcillié avec le passé.


La voix de l'artiste demeure sa force première. Elle a accompagné la poésie allumée du nouvel opus «Sur ce côté de la terre» dont il a disséminé les compositions dans la soirée. «Je pense à toi», «Arrêtez» étaient tout à fait appréciables. Il y avait aussi «Jean Riant» que Piché a présenté comme l'histoire d'un menteur. «Jean Charest!» s'est écrié un spectateur dans la salle. On l'a tous bien rit. Surtout, peut-être, l'ex-député et vice-président du Parti Québécois Daniel Turp assis près de moi. On souhaite à ce dernier d'être possédé de la même sérénité qui a animé le coeur de Paul Piché ce soir-là. Guidé par l'espoir de jours heureux, Paul Piché n'en démord pas. Ce projet de société qu'il caresse, il le portera tout au long de cette tournée qu'il amorce... jusqu'à la prochaine fois.


(article rédigé pour Montrealexpress.ca disponible à l'adresse suivante : http://www.montrealexpress.ca/article-447803-Paul-Piche-lartiste-muri-despoir.html)

mardi 6 avril 2010

La Fin


La fin du siècle dernier correspondait à la fin d’un millénaire. Les millénaristes orthodoxes en ont appelé au jugement dernier tel qu’il y a mille ans auparavant. La fin apparaît aussi dans l’hégémonie fracturée des idéologies triomphantes. Si le capitalisme s’impose de plus en plus comme doctrine socio-économique, les principes individualistes qu’il véhicule sont proprement postmodernes. Nous sommes épris collectivement et individuellement de l’obsession de la finitude. Une obsession constamment réactualisée tout au long de l’histoire humaine qui s’est définit entre deux certitudes: notre naissance et notre mort éventuelle.


Le texte signé par Alexis Martin et mis en scène par Daniel Brière élabore différents tableaux où les acteurs de la distribution multiplient les incarnations pour contextualiser le concept de la finalité. Un journaliste radiophonique (Daniel Brière) conteste le virage populiste de sa station. Il quitte son poste avec fracas sous les cris de son patron (Michel charrette), qui prendra la nouvelle comme une rupture, pour devenir journaliste scientifique, dernier bastion d’une rigueur que le métier se doit d’incarner. Ce faisant, il quitte son amante (Sharon Ibgui) qui se plaint de l’insensibilité de leurs ébats et dont les réflexions sur la confusion sexuée inspirera un incontournable dialogue philosophique avec un ami Alexis Martin (un rôle récurrent mais toujours rafraîchissant). Ce dernier donnera un exposé sur la cosmogonie selon le philosophe grec Empédocle selon qui la matière forme un tout uni par l’amour et dissout par la haine. Nous assistons aussi à deux scénaristes (Michel Charrette et Sharon Ibgui) pressés par une productrice de cinéma (Marie Brassard) qui cherche à faire le film catastrophe de l’été. Il y a aussi une discussion de taverne où Daniel Brière parle d’un pilote de brousse qui chasse l’angoisse de l’écrasement de son avion en se prétendant prématurément mort. Brière revient sous la forme d’un personnage aux allures du patriote d’Henri Julien, présenté par Marie Brassard comme le visage archaïque du Québécois. Le vestige d’une identité nationale.


Tout au long de la pièce, une boue tombe et se répand sur une grande table ronde au centre de la scène. Cette «Schnoute» ainsi décrite dans le programme de la pièce est présentée comme une recette originale préparée pour l’occasion (la recette y est même indiquée!). Cette matière informe, métaphore du monde en éclatement, est emblématique de sa décomposition. Un monde en vue d’être transformé car la finalité des choses s’inscrit dans une dynamique de renouvellement perpétuel.


La mise en scène est dynamique et stimulante. Son traitement tangue entre le discours intellectualiste et le traitement dérisoire. Un habile dosage qui permet au spectateur de ne pas succomber lui-même à l’angoisse de la fin. Il serait même plutôt tenté d’en redemander.


«La Fin» est présentée à l’Espace Libre jusqu’au 24 avril.


(texte rédigé pour le site Montrealexpress.ca disponible à l'adresse suivante : http://www.montrealexpress.ca/article-446199-La-Fin.html)