Présentation des courtes pièces Confession d’un cassé de Pierre Lefebvre, La déroute de Dominic Champagne et des poèmes de Patrice Desbiens mis en scène par Dominic Champagne, interprétées Alexis Martin, Mario Saint-Amand, Normand D’Amour, Sylvain Marcel et Julie Castonguay et accompagnées des musiciens Éric Asswad et Charles Imbeau.
Le 16 octobre dernier, une offre spéciale de billets à
moitié prix fut rendue disponible à l’occasion du jour de l’anniversaire de la
déclaration des mesures de guerre. Mais y avait-il là quelque chose à célébrer?
La doctrine du choc
Quand on y pense, la loi de Trudeau aurait bien pu inspirer
une telle pièce. La chape de plomb qui s’est abattue au mois d’octobre 1970
s’apparente à l’affaissement du projet national porté par René Lévesque lorsque
celui-ci est mort le 1er novembre 1987.
Suivant le premier événement, le peuple écrasé par une
campagne de peur. Après la mort de Lévesque, la béquille sur laquelle s’appuyaient
les québécois pour épargner un tant soit peu leurs genoux écorchés s’est
affaissée.
Après un tel choc, le système immunitaire de la collectivité
s’est trouvée vulnérable à tous les vices politiques imaginables. C’est ce
qu’explique Naomi Klein dans son essai La
doctrine du choc.
Bien sûr, on s’en remet, mais on n’oublie pas de tels
événements dans notre histoire collective.
Sur le site internet du Parti libéral du Québec, on vante le
développement de la Baie James comme un exemple de bonne gouvernance vouée à l’économie
bien qu’on y ait évacué les accointances avec le crime organisé.
Selon Liza Frulla, Bourassa plaisait à dire: «lorsque
l’économie va bien, tout va bien». On ne se méfie jamais trop des chantres du
«tout à l’économie». Ils ont galvaudé le sens de ce mot jusqu’à l’avoir vidé de
son sens. Tiré du grec ancien, l’économie signifie pourtant l’«administration
du foyer».
L’auteur du Livre de
la jungle Rudyard Kipling a dit qu’«on ne paiera jamais trop cher le
privilège d’être son propre maître». Ce n’est pas sur un chantier de
construction que s’administrera notre foyer qu’est le Québec, mais bien à
l’Assemblée Nationale où l’intérêt supérieur de la nation dépasse le cadre
strict d’un débat de comptabilité.
Souveraineté populaire
Il serait réducteur de croire que les pièces de Desbiens,
Lefebvre et Champagne traitent de la vitalité du projet souverainiste québécois
à proprement parler. C’est plutôt de la souveraineté populaire dont il est
question.
L’événement théâtral Tout
ça m’assassine a fait son bout de chemin dans les salles de théâtre depuis
son inauguration il y a un an. On en a parlé abondement dans les médias étant
donné la notoriété de Dominic Champagne.
Cette présence médiatique s’expliquait aussi par
l’implication spontanée du metteur en scène contre la nouvelle lubie de
l’industrie gazière qui prêchait en faveur de l’exploitation des gaz de schiste
dans la vallée du St-Laurent malgré les réticences de la population.
Soir après soir, au plus fort de la polémique sur cette
filière gazière, les journalistes s’entretenaient avec des gens qui faisaient
l’expérience du caractère colonial de la loi sur les mines.
On peut gager que, s’il eut été encore vivant, René Lévesque
n’aurait pas employé l’État contre l’intérêt populaire. Il se serait plutôt présenté
au ministère des ressources naturelles à la première heure pour demander qu’on
lui rende des comptes.
La majesté de Lévesque venait de
sa confiance inaliénable envers le peuple. Il y avait une raison pour expliquer
sa nature. Sa curiosité œuvrait à la comprendre, à la définir ainsi qu’à la
défendre. C’est en ce sens qu’on pourrait dire sans honte que Lévesque était un
conservateur.
L’intérêt supérieur du Québec
n’avait de sens qu’incarné dans la culture populaire. Par conséquent, Lévesque
jugeait que la tâche des démocrates était de renseigner le peuple sur ses
propres intérêts. Mais René Lévesque est
mort le 1er novembre 1987. Cette année, cela fera 25 ans qu’il ne
participe plus à notre aventure collective.
Le Québec me tue
L’histoire expliquera pourquoi Parizeau a précipité son
départ autant que son référendum. Le passage de Landry a été trop bref.
Oublions Bouchard. Cependant, comment expliquer les neuf années de Charest?
Comment est-il possible que le Québec en ait été réduit à un état désintéressé,
ignorant et servile?
Le lendemain du débat des chefs de 1994 entre Daniel Johnson
et Jacques Parizeau, Le Devoir publie la lettre d’une étudiante intitulée Le Québec me tue. Elle y explique que «cet
espoir [de la souveraineté du Québec] a longtemps été pour moi comme une
promesse d'air pur, de renouveau. J'ai compris que rien ne changera, car les
gens d'ici sont comme ça. Indécis. Et pas très fiers d'eux.»
Dans la pièce de Champagne, le poète de Desbiens incarné par
Sylvain Marcel exprime une sclérose qui l’atteint sévèrement, comme si son
propre verbe poétique l’asphyxiait. Il boit, fume et évacue toute la hargne qui
pèse sur sa condition.
L’idée voulant que la Révolution Tranquille soit l’affaire
exclusive des baby boomers persiste encore à ce jour. Pourtant, alors que leurs
parents ont mis au pouvoir l’Équipe du Tonnerre, ce sont eux qui ont fait en
sorte que survienne l’élection historique du 15 novembre 1976.
L’émergence de cette génération populeuse a vu naître un
sentiment national nouveau. Hubert Aquin avait souhaité en quelque sorte que le
Canada français meure afin qu’il provoque une renaissance salvatrice de son
essence. Les boomers ne furent-ils pas les premiers à se définir comme des
Québécois?
Comme le poète de Desbiens, agressé par son environnement et
par les autres, les baby boomers ont été honnis par les X, puis par les Y.
L’état social qui s’est construit pour servir le Québec est aujourd’hui accusé
d’empoisonner la postérité.
L’économie d’abord, oui!
Force est de constater que le discours populiste orienté sur
l’«économie» a le vent dans les voiles depuis les quinze dernières années. Cette
impression a atteint son paroxysme lors de l’élection de 2008 où les libéraux
ont fait campagne avec le slogan «l’économie d’abord, oui!».
Le
taux de participation anémique traduisait l’atteinte d’un nouveau sommet dans
le cynisme populaire. Cela n’a pas gêné les libéraux qui ont profité de leur
majorité parlementaire pour engager les démarches sur le dossier des gaz de
schistes, le traité de libre-échange Canada-Union Européenne et son programme
d’investissement massif dans les infrastructures.
C’était
sans savoir qu’il y avait un ver dans la pomme du monde de la construction,
quoi que cela n’a pas empêché le maire Tremblay de se faire réélire en 2009. Il
serait toutefois intéressant d’entendre Naomi Klein à la commission Charbonneau
expliquer de quelle façon la crise économique a servi les intérêts partisans
des collecteurs de fonds politiques.
À
l’instar du personnage d’Alexis Martin dans le Discours d’un cassé de Pierre Lefebvre, il se trouve parmi ces
cyniques des gens qui se sont désincarnés de l’ordre social. Ils n’appartiennent
plus qu’à eux-mêmes.
À défaut d’être rompus à la peur, ils s’abandonnent à une
conception de la souveraineté proprement personnelle comme si chaque corps
était un pays dans le nouvel ordre mondial néolibéral.
Vers un avenir incertain
Comment peut-on interpréter le dernier échange entre le
personnage de Mario St-Amand et Normand d’Amour à la fin de la pièce La déroute de Dominic Champagne? Le
premier, un suicidaire vivant sur du temps emprunté qui se désole de nos
défaites, et le second, ragaillardi par les succès qui ont marqué notre chemin
dans l’histoire, prennent la route pour participer à l’enterrement de René
Lévesque, un voyage qui se transforme en aventure allégorique. Alors que l’un
d’eux constate qu’il semble y avoir de la lumière devant eux au bout de la
route, l’autre répond, énigmatique, «on dirait un labyrinthe».
Le mythe de Thésée dans le labyrinthe du minotaure confronte
un découvreur désorienté et un être suintant la mort. De la sorte, Dominic
Champagne prévoit deux destinés possibles au Québec.
Ou bien il persiste dans la voie tracée par les Champlain,
d’Iberville, Papineau et Lévesque, ces héros dont le personnage de d’Amour
relate les exploits. Des être inspirés et inspirants qui ne cèdent devant rien
pour tracer la voie de l’expérience humaine.
Ou bien il cède, comme le craint le personnage de St-Amand,
à l’atavisme. Le Québec se laisserait emporter par ses défaites, se refusant à
tout espoir. On aurait très bien pu l’imaginer, lui ou le personnage d’Alexis
Martin, chanter les dernières paroles de Dehors
Novembre de Dédé Fortin: «j'attends un peu, chus pas pressé j'attends la
mort».
De la même manière, René Lévesque résumait la situation
ainsi : «une société, pas plus qu’une femme, ne peut demeurer indéfiniment
enceinte : il faut qu’elle accouche ou qu’elle avorte.»
Après la mort de Lévesque, le Parti Québécois ne s’est pas
effondré. Jacques Parizeau a donné un souffle nouveau au mouvement
souverainiste en prenant soin d’entrainer avec lui les mouvements populaires.
Si on peut blâmer son départ précipité après la défaite référendaire,
souhaitons-nous de ne pas baisser les bras au nom de l’intérêt commun. Il sera
toujours temps de renaître. «Nous sommes
renés», disait avec raison le
personnage de Normand D’Amour, comme quoi la mort de Lévesque ne nous empêchait
pas d’incarner nous-mêmes cette figure porteuse d’espoir.