mardi 6 avril 2010

La Fin


La fin du siècle dernier correspondait à la fin d’un millénaire. Les millénaristes orthodoxes en ont appelé au jugement dernier tel qu’il y a mille ans auparavant. La fin apparaît aussi dans l’hégémonie fracturée des idéologies triomphantes. Si le capitalisme s’impose de plus en plus comme doctrine socio-économique, les principes individualistes qu’il véhicule sont proprement postmodernes. Nous sommes épris collectivement et individuellement de l’obsession de la finitude. Une obsession constamment réactualisée tout au long de l’histoire humaine qui s’est définit entre deux certitudes: notre naissance et notre mort éventuelle.


Le texte signé par Alexis Martin et mis en scène par Daniel Brière élabore différents tableaux où les acteurs de la distribution multiplient les incarnations pour contextualiser le concept de la finalité. Un journaliste radiophonique (Daniel Brière) conteste le virage populiste de sa station. Il quitte son poste avec fracas sous les cris de son patron (Michel charrette), qui prendra la nouvelle comme une rupture, pour devenir journaliste scientifique, dernier bastion d’une rigueur que le métier se doit d’incarner. Ce faisant, il quitte son amante (Sharon Ibgui) qui se plaint de l’insensibilité de leurs ébats et dont les réflexions sur la confusion sexuée inspirera un incontournable dialogue philosophique avec un ami Alexis Martin (un rôle récurrent mais toujours rafraîchissant). Ce dernier donnera un exposé sur la cosmogonie selon le philosophe grec Empédocle selon qui la matière forme un tout uni par l’amour et dissout par la haine. Nous assistons aussi à deux scénaristes (Michel Charrette et Sharon Ibgui) pressés par une productrice de cinéma (Marie Brassard) qui cherche à faire le film catastrophe de l’été. Il y a aussi une discussion de taverne où Daniel Brière parle d’un pilote de brousse qui chasse l’angoisse de l’écrasement de son avion en se prétendant prématurément mort. Brière revient sous la forme d’un personnage aux allures du patriote d’Henri Julien, présenté par Marie Brassard comme le visage archaïque du Québécois. Le vestige d’une identité nationale.


Tout au long de la pièce, une boue tombe et se répand sur une grande table ronde au centre de la scène. Cette «Schnoute» ainsi décrite dans le programme de la pièce est présentée comme une recette originale préparée pour l’occasion (la recette y est même indiquée!). Cette matière informe, métaphore du monde en éclatement, est emblématique de sa décomposition. Un monde en vue d’être transformé car la finalité des choses s’inscrit dans une dynamique de renouvellement perpétuel.


La mise en scène est dynamique et stimulante. Son traitement tangue entre le discours intellectualiste et le traitement dérisoire. Un habile dosage qui permet au spectateur de ne pas succomber lui-même à l’angoisse de la fin. Il serait même plutôt tenté d’en redemander.


«La Fin» est présentée à l’Espace Libre jusqu’au 24 avril.


(texte rédigé pour le site Montrealexpress.ca disponible à l'adresse suivante : http://www.montrealexpress.ca/article-446199-La-Fin.html)