Article paru à l'origine dans L'aut'journal et disponible à l'adresse suivante: http://www.lautjournal.info/default.aspx?page=3&NewsId=5584
Les paroles
Une production de J’le dis là
Texte original : Daniel Keene
Traduction : Séverine Magois
Mise en scène : Alix Dufresne
Interprètes : Rachel Graton et Marc Béland
Éclairage : Erwann Bernard
Conception sonore : Gonzalo Soldi
Costumes :
Shlomit
Gopher et Sarah Lachance
Assistance à la mise en scène : Alexandra Sutto
Production : Sylvain Béland et Catherine Vallée-Grégoire
Publication : Les Éditions Théâtrales
La traversée du désert
Lorsque,
graduellement, les éclairages s’allument enfin, leurs faisceaux demeurent
brouillés par d’épais fumigènes qui ont empli l’espace avant même que le public
ait pris place. Il apparait ce qui semble être une pierre rectangulaire debout,
pas plus haut qu’un enfant. Elle occupe seule un espace scénique recouvert de
sable monochrome et granuleux.
Tout
bien considéré, l’impression de retrouver le contexte initial du film 2001 : L’Odyssée de l’espace de
Kubrick, avec ce monolithe noir qui surplombe un environnement sauvage, véritable
objet de fascination, voire de vénération, n’aura rien d’insensé.
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photo de Luma R. Brieuc |
Il faut
avoir lu le synopsis de la pièce Les Paroles
de l’Australien Daniel Keene avant d’assister à la représentation qu’a mis
en scène Alix Dufresne. Celui-ci agit comme une clé d’interprétation
essentielle. Sinon, le spectateur est plongé dans une aventure interprétative
qu’il croit se dérouler au second degré. Cette avenue n’est pas dépourvue
d’intérêt et plairait certainement aux amateurs d’herméneutique littéraire et
disciples de Hans-Georg Gadamer ou d’Umberto Eco (qui avait amené cette idée de
clé de lecture).
Ce
discours empreint de spiritualité qu’emploie Paul, interprété par Marc Béland, appelle
au basculement des niveaux de sens. Il explique cette impression persistante
d’assister à la mise en scène d’une allégorie. Épuisé, haletant, il s’arrête
parfois pour se reposer, mais parfois aussi pour conforter sa relation avec sa
foi en entreprenant des gestes rituels mettant tout son corps à contribution.
C’est sa foi qui l’amène
constamment à partir, car Paul est un prêcheur itinérant qui n’a pas
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photo de Luma R. Brieuc |
forcément
choisi ce destin. La parole divine qu’il se voue à partager ne trouve pas
oreille attentive. Pire, elle le condamne, ainsi que sa compagne, à la
persécution. Pour renforcer cette dimension, le texte de Daniel Keene prévoit
que Paul soit un homme noir uni à une femme blanche étant donné que de tels
couples mixtes sont susceptibles d’exclusion.
Mais Alix Dufresne ne jugeait pas
la chose nécessaire, puisque la réception de la christianisation s’accorde
difficilement avec le Québec moderne qui entreprend (difficilement) la voie de
la laïcité.
Quoi
qu’il en soit, la réaction d’Hélène (jouée par Rachel Graton) se distingue de
la quête spirituelle de Paul en cela que sa foi est faite d’espérance toute
humaine. Elle rêve d’un foyer, d’un enfant, d’une famille. Si on pourrait la
croire davantage terre-à-terre, sa présence permet à Paul de s’accrocher au
réel.
Par
contre, l’un et l’autre expérimentent par la force des choses, dans l’exil,
dans l’épuration de leurs encrages avec la réalité, un retour à l’essentiel, un
retour au primitivisme.
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photo de Luma R. Brieuc |
C’est dans cette idée que s’est
renforcé ce parallèle persistant avec le film de Kubrick. Dans la dernière
séquence du film, lorsque l’astronaute Bowman se dirige seul vers Jupiter où se
trouve le monolithe noir, il s’en suit une suite d’images proprement
psychédéliques. Cela rappelle la traversée du désert de Jésus de Nazareth,
jeûnant et cherchant la sérénité.
Dans tous les cas, cette
expérience intimiste ne peut faire l’économie d’une épuration des
superficialités du monde, ce que la pièce d’Alix Dufresne contextualise
efficacement dans sa pièce.